En immersion au cœur de l’Amazonie colombienne

Categories AMERIQUE DU SUD, Colombie

L’Amazonie colombienne reste pour l’instant encore bien conservée, comparée à ses voisines péruvienne et brésilienne qui ont été plus que débroussaillées au profit de la construction d’infrastructures touristiques pas franchement écolos. Ici on trouve encore des pans entiers de forêts entièrement vierges et des communautés indigènes vivant plus ou moins coupées de la civilisation, un écosystème fragile mais qui semble pour l’instant résister à l’envahisseur et surtout au tourisme de masse. 

Amazonie vue du ciel

 

Après mon volontariat dans le refuge pour singes, je poursuis ma découverte de l’Amazonie avec un deuxième volontariat, cette fois en tant que traductrice pour une agence locale d’éco-tourisme qui organise des séjours immersifs en Amazonie tout en préservant l’environnement et la vie de la communauté indigène locale. Les deux jeunes touristes canadiennes et le guide colombien Rigoberto me retrouvent donc directement à Mocagua. Je vais passer quatre jours avec eux, à les suivre dans leurs visites et leurs activités. Je suis chargée de traduire tout ce que dit notre guide de l’espagnol vers l’anglais, de traduire leurs questions de l’anglais vers l’espagnol, mais aussi de faire la conversation en anglais et espagnol durant les repas. Bref un sacré jonglage intellectuel, plus tous les noms d’animaux et de plantes (dont je ne connais parfois même pas l’appellation en français !) à retenir. Après leur avoir fait la visite du centre de réhabilitation pour singes et du village, nous grimpons dans le bateau en direction de notre lodge.

 

Nous naviguons depuis un peu plus d’une heure, quand le bateau s’arrête net dans un petit toussotement significatif : c’est la panne sèche. Notre guide et capitaine Rigoberto ne voulant sans doute pas perdre la face, nous assure que nous sommes quasiment arrivés à destination et qu’il va aller chercher de l’essence et sera de retour dans moins de 30 minutes. Les canadiennes sympas et plutôt drôles lui font remarquer que tous les bateaux à moteur ont des rames « au cas où »… et ben non pas celui-ci ! Il attache le bateau à un tronc sur le bord de la rive et disparait dans la forêt dense sans même une machette. Voyant la jungle épaisse qui nous entoure et étant donné que notre destination se trouve sur la rive opposée du fleuve je sais d’emblée que cette tentative est vouée à l’échec, mais je me contente (pour le moment) de traduire ses paroles. Les minutes passent lentement et le soleil commence à décliner, les filles commencent à s’inquiéter, à vouloir se dégourdir les jambes, à avoir faim… c’est là que mon rôle de « brodeuse » prend le pas sur ma fonction d’interprète. Finalement notre guide finit par revenir… bredouille évidemment, puisque son chemin a vite été barré par la végétation. À cours de solution (ne songez même pas au joker « coup de fil à un ami » car il n’y a évidemment pas de réseau téléphonique ici) il saute tout habillé dans le fleuve et tire la pirogue à la force des bras, méthode un peu inhabituelle, même s’il s’en sort plutôt bien plongeant même parfois sous l’eau pour prendre appui sur des racines, tandis que nous trois nous affairons à écarter les branches qui barrent le passage de l’embarcation. Au bout d’une heure nous n’avons même pas parcouru 500 mètres, il y a encore devant nous un énorme virage avec énormément de courant, la nuit commence à tomber, à part camper sur l’eau jusqu’au petit matin je ne vois pas de meilleure idée ! Quand soudain le bruit lointain d’un moteur de bateau se fait entendre, mais rien en vue. Est ce le fruit de notre imagination ?! Nous sommes sur un affluent du Rio principal sur lequel il n’y a quasiment pas de trafic car personne ne vit par ici, les chances de croiser quelqu’un sont infimes surtout à cette heure là. Pourtant le bruit de moteur résonne encore et semble même s’approcher, mais oui c’est bien ça un bateau surgit, c’est un collègue de Rigoberto qui emmène également au lodge un colombien et ses enfants en vacances en Amazonie. Hourra ! Dans un élan général dicté par notre instinct de survie, on s’accroche a l’embarcation lorsqu’elle arrive à notre hauteur, pour se laisser ainsi tracter. Il ne restait plus que quelques centaines de mètres en effet, mais nous n’aurions jamais pu traverser jusqu’à l’autre rive avec un tel courant. On débarque enfin sur la terre ferme, contentes d’être arrivées saines sèches et sauves à bon port.


 

Le lodge est un petit havre de paix perdu dans la verdure amazonienne, quelques bungalows, une salle à manger et bien sûr le coin détente-hamacs. Le tout dans le plus simple appareil, la seule décoration qui soit c’est la nature : les fleurs exotiques du jardin et les papillons multicolores. Après notre mésaventure du jour, nous ne tarderons pas à filer au lit et plonger dans un profond sommeil, bercé toujours avec ce fond sonore indescriptible si caractéristique de la forêt amazonienne. Le lendemain, nous reprenons le bateau (avec suffisamment d’essence cette fois) pour aller passer la journée à Puerto Nariño et ses environs.

 

En chemin, on coupe le moteur pour s’arrêter un moment sur le fleuve afin d’observer les dauphins. Il existe deux types de dauphins en Amazonie : les dauphins roses et les dauphins gris, que l’on distingue à tort par leur couleur, car certains « dauphins roses » apparaissent finalement plutôt de couleur grise et inversement. Le meilleur indicateur pour les reconnaître est leur nageoire dorsale : chez les gris elle est triangulaire alors que chez les roses elle est quasi inexistante, on aperçoit seulement une légère crête. Les gris appartiennent à la race des dauphins communs marins que l’on trouve donc dans les eaux salées. Ils peuvent mesurer jusqu’à 1,50 m à 2 m pour 35 à 40 kg, ce sont les plus dynamiques, ils peuvent poursuivre leur proie très rapidement et viennent respirer à la surface en moyenne toutes les 1’30 minutes (même s’ils ont la capacité de retenir leur respiration jusqu’à 15 min). Joueurs de surcroît, on peut ainsi les voir très souvent sauter au-dessus de l’eau et nager autour des bateaux. Les roses, les dauphins de rivière sont l’une des rares espèces vivant en eau douce, ils peuvent atteindre 2,80 m de long et peser jusqu’à 150 kg. Leur face est très différente puisqu’ils sont pourvu d’une sorte de long museau et ont un crâne en forme de melon. Leur dos épais et allongé est dépourvu de nageoire dorsale, ne leur permettant pas d’être aussi actifs que leurs congénères gris, c’est pourquoi ont ne les voient quasiment jamais faire des sauts. Pour combler à ce manque de rapidité de nage, l’absence de vertèbres cervicales soudées leur permet de bouger leur tête de droite à gauche. Cette adaptation leur permet de serpenter plus facilement entre les arbres et de s’aventurer dans la jungle inondée lors de la saison des pluies pour chercher leur nourriture. Leur manque de pigmentation est l’autre raison pour laquelle ont les voit rarement à la surface de l’eau. En effet, de part leur peau rose dépigmentée ils sont très sensibles au soleil, alors qu’en profondeur ils ne craignent pas les UV car les eaux troubles de couleur ocre du Rio amazonien les filtrent. Tandis que son cousin gris issu des mers aux eaux clairs a su s’adapter et sa peau grise lui permet d’être protégé du soleil.

Dauphin dans l'Amazone

 

Puerto Nariño compte 3000 habitants, situé à 85km de Leticia, à l’intersection de l’Amazone et de la rivière Loretoyacu, c’est l’unique autre ville d’Amazonie colombienne, avec une population composée des ethnies Cocama, Ticuna, Yagua et Colonos. Ici pas de voitures, ni de scooters dans les rues, les seuls véhicules motorisés sont l’ambulance et le camion qui ramassent les poubelles. Entouré de nature et avec l’Amazone qui coule à ses pieds, Puerto Nariño bénéficie d’emblée d’un charme certain. Mais la nature n’est pas la seule responsable de sa beauté, ses habitants redoublent d’efforts et d’initiatives pour entretenir des rues propres, des façades colorées et une végétation luxuriante. En somme, un village modèle renommé dans toute la Colombie pour ses initiatives écologiques, car ici tout est soigneusement trié et recyclé, l’eau domestique provient de l’eau de pluie récupérée et l’électricité est issue des panneaux solaires. Bref, il fait bon flâner dans ses allées bordées d’immenses palmiers d’açai en admirant les gazons impeccablement tondus, les rosiers et orchidées chatoyantes et en profitant de la douceur de vivre.

Puerto Narino le village écolo d'Amazonie

 

On traverse le village et on emprunte un chemin boueux pendant une petite heure avant d’atteindre un petit étang où piranhas, caïmans et ouistitis cohabitent. Il existe quatre espèces de caïmans dans cette région d’Amazonie : le caïman blanc, le caïman noir, le caïman nain et le caïmans à lunettes. Ici c’est un caïman noir que nous verront. Ils mangent principalement des poissons mais s’ils en ont l’occasion ils peuvent aussi tuer d’autres petits animaux. Étant de sang froid, ils « lézardent » au soleil pour faciliter la digestion. Ils possèdent deux paires de paupières : l’une comme les nôtres, la seconde transparente a le rôle de lunettes de plongée, leur permettant ainsi de voir clairement sous l’eau et qui s’appellent membranes nictitantes. Ils sont aussi dotés d’un sphincter au fond de leur gueule, ce qui leur permet d’ouvrir la mâchoire lorsqu’ils sont submergés, sans avaler d’eau. Les caïmans, en particulier les petits, sont la proie de nombreux animaux de l’Amazonie tels que les jaguars, les anacondas, certains oiseaux comme les aigles ou même d’autres caïmans plus gros. Ils ont la peau très épaisse et dure, à l’exception du caïman noir qui a la peau beaucoup plus fine. Cela le rend très vulnérable aux prédateurs humains, puisqu’une balle qui le touche suffit à le tuer. Longtemps chassé pour sa viande et sa peau (pour en faire de la maroquinerie), cette race est aujourd’hui menacée d’extinction. C’est également ici qu'on observe les Victorias Regias ces nénuphars tropicaux géants, qui peuvent atteindre 3 mètres de diamètre et supporter le poids d'un enfant.

 

Après un délicieux repas amazonien dans un restaurant du village, nous partons à l’assaut du mirador situé au centre du village. De là, nous avons une vue à 360º sur les alentours et l’on peut voir une immense étendue verte qui est complètement inondée en saison des pluies. C’est impressionnant d’imaginer comment le paysage peut changer au cours de l’année et surtout comment les habitants doivent s’adapter, pour leurs déplacements en bateau, mais aussi pour les ressources alimentaires.

 

Nous reprenons le bateau en direction du lac Tarapoto pour tenter des pêcher des piranhas. Nous restons un moment avec nos cannes à pêche fraichement fabriquées par Rigoberto et nos appâts, mais rien ne mort à l’hameçon. Justement parce que c’est la saison sèche et qu’il y a moins de poissons en ce moment que lors de la saison des pluies. A défaut, d’attraper des poissons, notre guide nous propose une petite baignade. Les canadiennes écarquillent les yeux : mais et les piranhas ?! Et bien contrairement aux idées reçues, les piranhas sont totalement inoffensifs pour l’homme (du moins l’espèce présente ici en Amazonie colombienne). Même s’ils peuvent détecter une goutte de sang dans l'eau à plusieurs dizaines de mètres, l’essentiel de leur alimentation se compose d’autres poissons qu’ils attaquent. Juste le temps d’admirer un coucher de soleil sur le fleuve et il faut s’empresser de rentrer si l’on ne veut pas prendre le risque de naviguer une fois la nuit tombée de la nuit.

 

Le lendemain nous partons à San Martin, la communauté voisine située sur les rives du fleuve Amacayaku, d’où sont originaires le personnel (guides et cuisinières) qui travaille au lodge, mais qui est quand même à une heure de bateau. Elle compte 500 habitants tous Ticunas, ici on s’adresse donc la parole dans le dialecte Ticuna, même si tous le monde parle également espagnol. C’est là qu'à grandit et que vit Rigoberto. Pendant que l’on fait le tour du village, ils nous parle de quelques-unes des traditions indigènes. Notamment des rites de passage à l’age adulte et du  terrible rituel de la fourmi Paraponera. Ces fourmis sont connue pour leur extrême agressivité dès qu'elles sont dérangée, pourvues d’un long dard, elles peuvent piquer si elles sont contrariées infligeant alors une douleur instantanée insupportable. Ainsi les jeunes garçons Ticunas devaient mettre leurs mains dans un panier rempli de ses fourmis excitées préalablement et résister à l’insoutenable calvaire des piqûres qualifiées de « balles de fusil ». Si après 24h, le jeune pubère a su faire preuve de courage en restant stoïque durant ce rite initiatique alors il devient un homme. Les femmes aussi ont leur propre cérémonie initiatique, qui fait froid dans le dos et au cours de laquelle on leur arrache les cheveux un à un. Brrr, ça fait froid dans le dos. L’aspect plus jovial de ces rituels, nous dit Rigoberto, c’est que pendant des heures on danse et on boit, l’alcool local appelé Chicha, une sorte de bière préparée à base de manioc (yuca). Heureusement, ces coutumes ne se pratiquent plus aujourd’hui (même si les dernières remontent à peu de temps puisque la créatrice de bracelets m’avoue l’avoir déjà vu faire). Toujours est-il que les femmes indigènes continuent (même sans cette étape de dépilation de tignasse) de ne jamais au grand jamais se couper les cheveux tout au long de leur vie. Côté masculin, la mode aux cheveux courts l’emporte, même si l’on croise quelques hommes aux cheveux longs d’un noir ébène, du plus bel effet évidement (attention au charme exotique ravageur, certaines européennes ont déjà succombes et ont finies par faire leur vie ici !). 

 

On s’arrête ensuite dans la maison d’une femme qui crée des sacs, bracelets et autres produits artisanaux. Elle nous explique le procédé pour fabriquer la matière première appelée chambira, fibre naturelle extraite des palmiers, puis séchée avant d’être ensuite colorée avec des teintures naturelles issues des arbres et plantes amazoniens. Ces fibres une fois teintées sont alors transformées en « pelote de fils » en roulant énergiquement deux fils entre sa cuisse et la paume de sa main de sorte qu’ils s’entrelacent solidement de façon très serrée. Nous essayons à tour de rôle et à l’évidence nous manquons clairement de pratique pour cette étape. Et pendant que c’est atelier loisirs créatifs pour les femmes et les filles, les garçons jouent à se battre avec arc et lance pierre, bien sûr (vive le sexisme dès la plus tendre enfance !). Puis nous attaquons la confection à proprement parlé de bracelets. Pour cette étape nous sommes un peu plus douées, la technique et semblable à celle des bracelets brésiliens que je confectionnais gamine, je finis rapidement. L’une des canadiennes abandonne rapidement, la deuxième persévère surveillée de près par notre « prof » qui repère de loin le moindre nœud mal fait. Au final, on a la bonne surprise de repartir avec notre création au poignet, sympa !

 

Après le déjeuner, notre programme est stoppé par l’averse tropicale, typique ici en Amazonie, cela peut durer des heures, la balade dans la jungle se transforme donc en après-midi sieste dans les hamacs. Pendant ce temps, les enfants du village joue gaiement sous la pluie et dans les flaques de boue. Et moi de penser : comment font ces femmes pour laver des habits tâchés de boue dans le Rio couleur ocre et en ressortir le linge immaculé ? 

 

On rentre alors au lodge, la pluie finit par cesser et une fois la nuit tombée, nous partons faire une balade dans la jungle. À la lueur de nos lampes frontales nous marchons dans la forêt, les filles n’étant pas habituées à cet environnement sursautent à chaque craquement, bruissement. Et toujours ce murmure de la forêt amazonienne, les cris des geckos, grenouilles, oiseaux et singes nocturnes, qui nous enveloppe. Nous n’aurons pas la chance de croiser beaucoup d’animaux ce soir là, hormis quelques insectes (araignées et sauterelles) mais Rigoberto nous montre des végétaux étonnants. Un arbre qui produit de la cire avec laquelle on peut fabriquer des bougies pouvant brûler plusieurs jours. Démonstration à l’appui, il enflamme devant nous un minuscule bout de cire qu’il pose au sol, quand nous repassons une heure plus tard, il se consume toujours. Plus loin, il nous demande d’éteindre nos lampes torches et de regarder par terre, sous nos pieds c’est un véritable tapis de feuilles phosphorescentes qui apparait. Ce phénomène surprenant ne provient pas des feuilles elles-mêmes mais d’un champignon qui se forme sur certaines feuilles. On dispose de peu d’information sur ce champignon, mais les scientifiques pensent que sa propriété phosphorescente servirait à attirer les animaux nocturnes qui s’en approchent par curiosité et qui restent alors avec les spores du champignon sur le nez ou les jambes les dispersant ainsi dans la jungle. La nature fait vraiment preuve d’originalité et cette couche de « feuilles lucioles »  donne une ambiance encore plus magique à notre virée nocturne. De retour au lodge, on savoure ensemble notre dernier dîner aux chandelles (souvenez vous qu’il n’y a pas d’électricité ici !) dans la jungle amazonienne. Mon séjour en Amazonie touche à sa fin, demain il sera déjà l’heure de rentrer à Leticia et de s’atteler à une journée de lessive.

 

 

INFORMATIONS PRATIQUES :
Pour postuler via le site Workaway Yoiecotours

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