Sur les traces des tribus cannibales de Malekula

Categories OCEANIE, Vanuatu
Vanuatu et ses tribus cannibales

Malekula est la seconde île la plus grande du Vanuatu et sûrement la plus mystérieuse et la plus sauvage. Très peu de voyageurs s'y rendent, d'ailleurs je m'en rends vite compte lorsqu'on me demande de monter sur la balance à l'aéroport – Euh moi ? – Oui, oui, pesée du sac ET du passager avant l'embarquement pour pouvoir équilibrer les charges. Au total nous sommes trois, plus le pilote dans l'avion, c'est ce qu'on appelle un "coucou" ! Pour parler à mon voisin de derrière (oui on est en file indienne) je suis obligée de crier tant l'engin fait un boucan monstrueux et la chaleur y est étouffante. Heureusement le vol ne dure que 25 minutes et sous nos yeux défilent les eaux turquoises de la mer de Corail.

 

Les pieds sur le tarmac, ou plutôt la piste d'herbe, je dois rapidement me décider sur mon programme car comme souvent avec moi c'est l'improvisation totale. Ni une ni deux je discute avec un chauffeur de bus local, il est d'accord pour nous emmener moi et l'autre français rencontré à bord du coucou, direction la pension de Stephano à 1h vers le nord sur la côte est. On traverse des étendues de champs de coprah dont on ne voit pas le bout, pas âme qui vive à l’horizon, on se croirait seuls sur cette île empreinte d’une culture cannibale…pas très rassurant ! Après une heure de route à travers la brousse on arrive enfin à destination, on s’installe dans les bungalows très spartiates mais avec une vue superbe sur la mer, c’est tout ce qu’il me faut.

 

Le lendemain notre hôte nous emmène découvrir l’îlot Walla situé juste en face. Quelques minutes de bateau et nous retrouvons ici une vraie vie de village. Stephano nous fait découvrir toutes les plantes qui poussent ici : ananas, mangue, amande, cacao sous toutes ses formes et même quelques pieds de vigne. Un véritable petit jardin d'Eden !

 

Au cours de notre promenade nous arrivons  sur un ancien lieu de cérémonie des tribus, on y trouve plusieurs alignements de pierres dressées, dont chacune symbolise par sa taille et son emplacement la place des membres de la tribus des Nambas.

 

Pour les personnes les plus importantes de la tribu de hautes pierres sont érigées et leur taille diminue à mesure que l'on descend de grade. Pour l'acquisition des rangs les plus bas, chaque gradé sculpte une statue en tronc de bois de fougère qui symbolise son admission dans le grade et qui reste ensuite sur la place de danse.

 

On poursuit notre exploration de l'îlot jusqu'au village. Premier contact avec les enfants, un peu intimidés au premier abord d'avoir de la visite.

 

Mais quand on lance l'idée d'aller faire un tour en pirogue avec eux, les sourires ne se font pas attendre et c'est avec enthousiasme qu'ils nous embarquent dans leur petite embarcation.

 

Les pirogues sont traditionnellement construites en creusant dans le tronc d'un grand arbre en consumant l'intérieur par un feu de braises constamment entretenu, puis un balancier en bois et ensuite ajouté au corps principal de la pirogue. Celle dans laquelle je monte est un petit modèle à deux places utilisé principalement pour la pêche et se déplacer. Jadis les Mélanésiens, ces « hommes de la pirogue » utilisaient de plus grands modèles à balancier simple ou double, qui leur permirent d’élargir leurs horizons, leurs échanges avec les autres civilisations en effectuant des voyages inter-insulaires.


 

Après quelques coups de pagaye et de bons fous-rires, nous reprenons le bateau pour rejoindre l’île principale de Malekula. Cet après-midi nous allons rendre visite au chef du village d’Amel Sinatra. Après une longue balade dans la jungle sous une chaleur écrasante nous arrivons enfin sur le site et sommes accueillis par Sylverio et sa femme.

 

Dans son dialecte local que Stephano nous traduit – on compte sur Malekula pas moins de 19 parlers mélanésiens pour 5 500 habitants, soit une langue pour 290 habitants – Sylverio nous explique en détails comment sont utilisées chacune des plantes présentent sur l'île. Des plantes médicinales dont lui seul à le secret, aux premières feuilles de pandanus utilisées comme assiette lors des cérémonies, toutes ont une utilité bien précise. Les jeunes qui nous accompagnent boivent ses paroles, avec une attention et un respect exemplaire. Ce vieil homme est une véritable encyclopédie à cœur ouvert, ici c'est grâce aux anciens que le savoir et les traditions se transmettent et perdurent.

 

Il nous amène ensuite sur les lieux de l’ancien nakamal, la maison commune des hommes. Aux temps traditionnels, ils prenaient là leur repas à l'écart des femmes et se réunissaient ici le soir. C’est aussi le lieu où se déroulent les rituels de passage de grades et où le jeune homme acquiert un statut. Les femmes en sont interdites d’accès, ainsi que les enfants mâles non encore circoncis.

 

Le doyen nous montre comment débourrer et ouvrir les noix de coco, mais aussi à se servirent des fibres de coco pour tresser des cordes qui auront de multiples usages. Pendant ce temps sa femme nous concocte des petits plats typiques cuits selon le mode traditionnel : du chou des îles, des haricots blancs et rouges qui ont cuits au feu de bois dans des bambous remplis d'eau de coco. On se rassemble tous autour de la table dressée avec des feuilles de bananiers et décorée de fleurs d’hibiscus et on déguste ce buffet aussi beau pour les yeux que bon en bouche. Un régal à l’état pur !

 

Sylverio clos cet après-midi par une démonstration musicale, en jouant sur un tambour fait d'un tronc d'arbre évidé en son milieu, avec derrière lui les « tambours dressés » plantés sur le sol comme pour attester de son rang de « grand homme ». Finalement, c’est dans un parfait français (nous qui croyons qu’il ne parlait qu’un dialecte) que Sylverio et sa femme nous avouent avec émotion que c’est la première fois qu’ils partagent leurs traditions avec des voyageurs. Ravis des heures passées avec eux et des enseignements appris nous l’encourageons dans leur démarche de faire découvrir cela à d’autres touristes. Nous prenons congés d’eux et repartons dans la brousse avec cette expérience unique gravée dans nos mémoires. 

 

Le lendemain matin Stefano nous emmène visiter l’ancien site cannibale d’Amelbati, accessible après une marche d’une heure dans la forêt. Sur le chemin nous croisons un couple avec leurs enfants, le plus petit dormant dans la brouette e guise de poussette. Il reviennent de la cueillette aux cocos vertes et nous en propose. Et oui, ici dans la jungle ce n’est pas la pause café mais la pause coco et ce n’est pas pour me déplaire.

 

Rafraîchis nous reprenons la route et arriverons enfin sur le lieu des tombeaux des anciens chefs guerriers. Il n’en reste pas grand-chose, seules quelques pierres funéraires marquent l'entrée du cimetière royal, indiquant le lieu où étaient enterrées les familles. Plus loin, des ossements, des morceaux de mâchoires et des crânes humains attestent du passé cannibale de Malekula. Les hommes étaient enterrés la tête hors du sol. Leurs crânes étaient conservés et, en cas de guerre entre tribus, les guerriers les emportaient avec eux, tel un objet sacré.

 

Si depuis environ un siècle, les habitants de Malekula ne mangent plus leurs ennemis, ni de chair humaine tout court d’ailleurs, le dernier cas de cannibalisme à Malekula daterait pourtant de la fin des années 1960… Ca laisse pensif. Aujourd’hui, 80% de la population vit (et mange) d’agriculture, principalement des arbres fruitiers locaux (arbre à pain, bananiers, cocotiers, sagou) et des tubercules de taro ou d'igname. Remis de nos émotions nous reprenons notre chemin, passons dans un village où l’on se fait offrir un déjeuner…de crabe. Ouf ! On ne s’attarde pas car nous sommes déjà en retard pour assister aux danses coutumières des Small Nambas.

 

Le nambas, en bichlamar, désigne l'étui pénien. Les « Big Nambas » sont un groupe particulier du nord-ouest de l'île qui porte un grand étui dressé de natte rouge, ce qui les oppose au groupe voisin : les « Small Nambas » qui portent eux un petit étui pénien.

 

Le village est organisé autour d’une grande place avec en son centre un tambour de danse taillé dans le bois. Tout un coup la place s’anime et résonne de chants et de danses, entrecoupés du son d'instruments. Ce sont des grelots, fabriqués par des écorces vides de noix que les danseurs attachent en paquets à leurs chevilles. Les danses s’enchainent, d’abord les hommes par une série de danses coutumières avec les tambours qui roulent, puis les femmes entrent en scène avec une belle danse des fleurs.

 

On assiste ensuite à des démonstrations de la vie quotidienne : l’allumage du feu sans feu, le tressage de feuilles de pandanus qui permet de construire des toits pour les cases mais aussi de confectionner des paniers et d’autres ustensiles de la vie quotidienne et enfin la préparation du fameux Lap Lap, le plat traditionnel du Vanuatu à base d’igname et de lait de coco fraichement extrait.

 

Une autre tradition encore présente sur l’île est celle du dessin sur sable, qui leur permet de communiquer en se laissant des messages au sol. Nous achevons les festivités par une dégustation du repas traditionnel préparé et une danse tous en semble. 

 

 

Si aujourd’hui les membres du village ne s'habillent plus ainsi, sauf lors des grandes cérémonies, la tribu Nemi Gordien Ser, souhaite profondément conserver ses traditions, et ainsi les anciens continuent de les transmettre aux plus jeunes. En effet, sous leurs costumes traditionnels on reconnaît les jeunes et les enfants croisés plus tôt, qui sont fiers de faire perdurer leurs coutumes, leurs danses et leur savoir faire. Leur vie en communauté reste basée sur une communion avec la nature, une agriculture de subsistance, et surtout un bonheur partagé du chant et de la danse.

 

Complètement hors des sentiers battus mes quelques jours sur Malekula m’ont permis d’approcher une culture singulière très ancienne, empreinte de cannibalisme, d’histoires et de traditions coutumières. Maintenant, cap sur ma dernière destination du Vanuatu : l’île d’Esperitu Santo.

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