Située dans le Pacifique sud, à plus de 3000 km du continent le plus proche, l’île de Pâques est l’un des lieux les plus isolés du monde. Isolement que l’on ressent bien quand après 6h d’avion depuis la Polynésie française à n’avoir survolé que de l’eau, on se retrouve sur ce petit bout d’île de 163 km2 avec à nouveau que de l’eau à perte de vue. Appelé Rapa Nui par les indigènes, on retrouve ici la culture polynésienne encore bien ancrée, puisque l’île a été colonisée par les polynésiens (entre l’an 400 et 1200) qui seraient arrivés par pirogues.
Tout juste descendue de l’avion je suis accueillie d’un « Iorana » (bonjour en polynésien ou rapanui) et d’un collier de fleurs de bienvenue. Me voilà mise dans l’ambiance pascuane, maintenant direction le camping qui donne face à la mer…et rien d’autre que de l’eau et encore de l'eau jusqu’à l’horizon.
La plupart des voyageurs arrivant de Polynésie, sont comme moi en tour du monde et l’île de Pâques est le dernier stop du Pacifique avant d’arriver en Amérique du Sud. On passe la soirée à se raconter nos parcours plein de similitudes, mais la fatigue se faisant sentir, on ne tarde pas à filer dans nos tentes. Le lendemain, après s’être remis de notre jetlag, on partage une voiture pour partir à la découverte de ce bout de terre. Longue de 23km sur 12km de large, l’île de Pâques résulte de l’activité de trois volcans il y a plusieurs millions d’années (et qui ce sont éteints depuis), qui se dressent à chaque coin de l’île. On commence par le Rano Kao, le volcan le plus au sud de l’île et le plus large aussi avec son cratère de 1km de diamètre et tapissé de petits lacs qui surplombe l’océan.
On remonte ensuite la côte vers le Nord, alternant les paysages : par endroits un décor volcanique avec des coulées de lave, roches, herbe jaune et roussie et tantôt des collines verdoyantes. Ici pas d’étendue de sable blanc et de cocotiers comme en Polynésie, mais des paysage volcaniques : des pierres de lave recouverts d’une végétation pauvre et rustique, une terre argileuse où quasiment rien ne pousse hormis quelques avocatiers, bananiers, goyaviers et cocotiers plantés récemment, mais sinon toutes les forêts ont disparues lors de la surpopulation à une certaine époque. Quant à la faune, on croise sur la route troupeaux de vaches et de chevaux qui parcourent l’île à la recherche de points d’eau et des pâturages les plus verts. A l’origine « importés », ils sont élevés en semi-liberté par les vaqueros pascuans.
On arrive ensuite sur le site l’un des sites mythique de Rapa Nui : le Rano Raraku. C’est dans cette vaste carrière que les Pascuans ont taillé la majeure partie de leurs géants de pierre. Tel un chantier laissé à l’abandon, c’est près de 400 moaïs qui gisent à l’abandon, debout ou parfois couché et qui n’auront jamais atteint leur emplacement final. Sans compter ceux qui se sont brisés en cours de route, en effet selon les chercheurs seul un tiers arrivait intact à destination. Car ces statues dont la hauteur peut aller jusqu’à 21 mètres, pèsent chacune entre une dizaine et plusieurs centaines de tonnes !
Vous imaginez bien que déplacer ces colosses en tuf volcanique jusqu'aux terres dites sacrées n’est pas une mince affaire ! Les scientifiques ont émis à ce sujet plusieurs hypothèses : certains pensent que les statues auraient été transportées jusqu’aux côtes en position horizontale en les faisant glisser grâce à des rondins de bois, tandis que d‘autres imaginent plutôt un transport vertical où les hommes faisaient chanceler le moaï d’un côté puis de l’autre, le faisant ainsi « marcher ». Et le labeur ne s’arrête pas là, car une fois acheminé jusqu’au site cérémoniel, encore faut-il l’édifier et le mettre sur sa plateforme. Là aussi plusieurs opinions sont avancées.
Mais malgré l’abondance de ces théories autour des célèbres monolithes, ces géants de pierres semblent vouloir garder leur mystère. Nous poursuivons notre route vers le site de Tongariki, surement l’image la plus connue de l’ile, avec ses 15 moaïs alignés tournant le dos à la mer. C'est le plus grand alignement de l'île et l'un de ces sites phares. Même en se levant à l'aube pour y admirer le lever de soleil, n'imaginez pas être seul, chaque matin une foule de touristes motivés attendent patiemment que le soleil pointe son nez derrière la rangée de titans.
S’il y a encore 30 ans, Rapa Nui, de son nom officiel, n’était ravitaillée qu’une fois par an par un navire de guerre, aujourd’hui la fréquentation touristique en sacrément en hausse. Malgré cela, Hanga Roa, la « capitale » – autrement dit l’unique village de l’île – a sue garder sa simplicité et son authenticité avec des airs très polynésiens. D’ailleurs ce soir, nous allons faire une petite virée en « ville » pour aller assister à un spectacle de danses traditionnelles.Pendant 2 heures les danseuses et danseurs se déhanchent sur des rythmes effrénés, changeant de costumes pour chaque nouveau tableau. Guitares, ukulélé et percussions accompagnent les chorégraphies qui s’inspirent des légendes des esprits, des guerres tribales, des Moaïs, bref un mélange subtil de grâce délicate et de force brute qui nous transporte littéralement.
Les jours suivants, la météo fait des siennes, à tel point que je suis réveillée en pleine nuit par l’oarage, avec quelques centimètres d’eau dans ma tente et mes affaires complètement imbibées. Test d’étanchéité négatif ! Impossible de faire sécher tout ça, puisque le soleil ne daignera pas pointer son nez, ce sera pluie, pluie et pluie encore, pendant deux jours sans discontinuer. Heureusement qu’il y a du wifi dans la salle commune (haha c’est ironique !), mais au moins il y a des canapés. On se console comme on peut en attendant le retour du soleil. Et quand enfin il revient, ni une ni deux, on file à la plage !!!
Située au nord de l’île, Anakena est la plus belle des deux plages présentes sur Rapa Nui. Loin des images de paradis polynésiens (et des températures à 30ºC), elle est quand même prisée des touristes comme des locaux avec sa mer turquoise, sa plage de sable fin et ses cocotiers. Pour ajouter au charme, sept moaïs sont érigés en rang sur un Ahu (socle cérémoniel) et possèdent quelques détails distinctifs : des tatouages, des finitions et des chapeaux pour certains. Selon la légende, c’est par cette plage qu’Hotu Matu’a, le premier roi de l’île, aurait débarqué en pirogue, au Vème siècle. On passerait bien une journée de farniente à la plage, mais pour optimiser notre location de voiture, on se motive à aller explorer d'autres endroits de l'île.
Direction l’intérieur des terres, où se trouve un site singulier. Ahu Atiu à une particularité : ses 7 moaïs font face à l’océan scrutant l’horizon, contrairement à tous les autres qui lui tournent le dos. D’après le mythe, ceux-ci représenteraient les sept explorateurs envoyés en reconnaissance par le roi Hotu Matu’a avant d’arriver sur l’île.
Comme chaque soir (sauf les jours de grosses pluies) c’est l’heure de retourner au village pour admirer le spectacle quotidien du soleil se couchant derrière les cinq moais. Comme un théâtre à ciel ouvert, des dizaines de touristes viennent ici, sur le site de Ahu Tahai – Ko Te Riku, s’assoient sur la pelouse face à la mer à attendre religieusement que le Dieu Soleil nous offre sa palette de couleurs du jour, avec bien sûr le bon vouloir de Monsieur Ciel et ses capricieux nuages. Pas un ne se ressemble, c’est tous les soirs un tableau différent qui s’offre à nous. Puis, après le déclin du soleil, tout ce petit monde disparaît comme il est apparut.
Privée de sortie plongée – oui, oui, il y a un moai sous l’eau que l’on peut aller voir ! – pour cause de déversage de fuel près de la côte juste quand je suis arrivée, je décide à la place de craquer ma tirelire pour un trek à cheval. Levée de bonne heure, le ciel est au beau fixe, j’attends patiemment que le guide vienne me chercher… Finalement, le gérant du camping m‘annonce que mon guide à picolé toute la nuit et qu’il a encore 4g dans le sang, donc impossible pour lui de monter à cheval et encore moins de trouver le chemin : la sortie est annulée. Snif ! Hors de question que je perde une journée, je décide de louer à nouveau une voiture avec une autre voyageuse et on part en direction de la côte ouest que je n’ai pas encore eu l’occasion de découvrir…
On file en direction de Ana Kakenga, surnommée la grotte aux deux fenêtres. Après avoir demandé notre chemin à un vaquero pas très sympathique et s’être faufilé entre les énormes taureaux pour suivre le sentier, nous arrivons enfin à ladite grotte. Enfin, encore faut-il être bien observateur car le seul accès est un trou caché dans le sol, ce qui en fait renoncer plus d’un : claustrophobes et gros gabarits s’abstenir ! En effet, le tunnel est très étroit, nous avançons pliées en deux, à la lueur de notre lampe torche, en se cognant la tête ici et là. Ce tube volcanique d'environ 50 mètres de long a été formé il y a des milliers d'années lorsque la lave encore liquide continuait à traverser le sous-sol. Cette grotte, aurait été utilisée comme refuge pendant les luttes qui ont eu lieu il y a des siècles entre les différents clans de l'île. On raconte aussi que cette grotte était la dernière cachette d'un jeune couple fuyant la punition pour leur amour interdit, ils se cachèrent ici et on ne su jamais ce qu’ils devinrent. Encore une histoire d’amour qui finit mal, mais au moins d’ici on est tranquille et la vue est splendide. Depuis la fenêtre de Ana Kakenga on a une vue incroyable sur le motu Tautara et le bleu intense de l'océan Pacifique.
On reprend notre chemin et on en profite sur la route pour cueillir des goyaves sauvages, ces petits fruits à la chair rouge qui poussent sur des arbustes hirsutes. Car sur l’île – comme quasi rein n’y pousse – les fruits et légumes importés se vendent à prix d’or : comptez 2€ pour une banane, qui est habituellement le fruit le moins cher au monde. Après ce frugal goûter, nous voilà d’attaque pour commencer notre trek jusqu’au sommet du volcan Maunga Terevaka. A défaut de le faire à cheval (Grrr !!!), nous en croisons quelque uns sur la route, avec les poulains qui gambadent déjà fièrement sur leurs longues jambes graciles. Finalement, après plusieurs heures de montée (le sommet paraît toujours plus près qu’en réalité !) nous atteignons la cime du volcan qui culmine à 511m. C’est le plus haut point de l’île et d’ici, on jouit d’un point de vue unique sur l’ile. Les couleurs sont absolument sublimes, seul hic, le vent qui souffle et glacial. On ne tarde donc pas trop à redescendre.
En fin de journée le ciel se noircit et devient menaçant, point de coucher de soleil visible se soir là, mais une bonne couche nuageuse qui donne un coté encore plus mystérieux à Ahu Tongariki. Malgré le temps incertain je décide quand même d’aller rendre une visite nocturne aux quinze moais qui tournent le dos à la mer, le site étant très éloigné de la ville je n‘aurais pas de pollution lumineuse. Je sais bien qu’il est fermé la nuit mais je ne peux me résoudre à quitter cette île sans avoir pris une photo du ciel étoilé. Une fois la pénombre installée je pars donc en voiture, j’ai peu de temps avant que la lune ne se lève et ne m’empêche de prendre des photos des étoiles… Malheureusement les gardiens du site sont encore là avec leur lampe torche à surveiller le site, je dois prendre mon mal en patience. Ouf ils finissent par partir, je m’empresse de faire le mur et m’avance dans la nuit noire aux pieds des quinze moais avec la crainte que soudain un projecteur soit braqué sur moi. Il n ‘en est rien heureusement et j’ai alors ce lieu mythique pour moi toute seule. Mes yeux s’habituent progressivement à l’obscurité et les moais apparaissent alors devant moi, ils semblent encore plus imposants que de jour, avec le ciel étoilé en toile de fond et le bruit des vagues. Je profite de ce moment magique… Soudain une lueur derrière l’un des moaï : c’est la pleine lune qui se lève, les chiens aux alentours se mettent à aboyer, ambiance mystique garantie !
L’île de Pâques reste l’un de ces lieux sur Terre dont la renommée est inversement proportionnelle à ce que l’on en sait…mystique, mystérieuse et magnétique elle restera !
Superbe récit, photos sublimes. Quel talent!! 🙂
Merci ! 😊
Hello
Très sympa.
Cela donne vraiment envie et l'écriture est parfaite.